Fabriquer de l’hydrogène vert en classe
L’hydrogène vert suscite un véritable engouement à l’échelle internationale. Au Québec, le gouvernement a lancé une stratégie nationale pour promouvoir sa production. Dans plusieurs secteurs d’activité, l’hydrogène pourrait un jour constituer une alternative durable aux énergies fossiles. Car sa combustion ne produit pas d’émissions indésirables. «Quand on brûle de l’hydrogène, il n’y a pas d’émission de dioxyde de carbone (CO2), dit le professeur de chimie Mathieu Frenette. Ça fait juste de l’eau.»
L’hydrogène pourrait aussi servir à stocker de grandes quantités d’électricité provenant de sources durables telles que l’énergie solaire ou éolienne. Quand il fait soleil ou qu’il vente, de grandes quantités d’énergie non utilisées pourraient être emmagasinées sous forme d’hydrogène, ce qui aurait pour avantage de compenser les fluctuations de ces sources énergétiques.
L’hydrogène vert se présente donc comme une solution flexible et écologique pouvant améliorer notre approvisionnement énergétique. Mais il y a un hic. «Les processus de production coûtent cher et sont encore peu efficaces, note le professeur. Pour faire de l’hydrogène un véritable atout dans la décarbonation de l’économie, d’importantes améliorations devront être apportées.»
Générer de l’hydrogène à partir de l’eau
C’est à ce défi que s’est attelé le groupe du cours de baccalauréat Projets en chimie des matériaux offert par Mathieu Frenette et ses collègues Mohamed Siaj, directeur du centre de recherche NanoQAM, et Joshua Byers, directeur des programmes de premier cycle en chimie. «Avec les étudiantes et étudiants, on a entrepris un projet d’élaboration d’un nouveau matériau conducteur pour générer de l’hydrogène à partir de l’eau, dit Mathieu Frenette. Au terme des expériences menées en classe, on compte même publier un article scientifique.»
L’hydrogène vert (comparativement à l’hydrogène gris produit à partir de gaz naturel) est obtenu par électrolyse de l’eau. «Ce procédé consiste à faire passer un courant électrique dans l’eau (H2O) pour briser ses molécules et en extraire l’hydrogène», précise le professeur. L’un des problèmes associés à ce procédé est que le platine, largement utilisé comme catalyseur, coûte plus cher que l’or. L’autre est qu’une importante quantité d’énergie est perdue dans le processus.
Les étudiantes et les étudiants ont donc cherché à concevoir un matériau sans platine ou permettant de réduire son utilisation le plus possible. «Un peu comme l’arbre supporte les feuilles, nous voulons bâtir un support électrochimique pour les sites catalytiques (les feuilles de l’arbre), explique le chimiste. Et comme l’arbre doit fournir de l’eau à toutes les feuilles, notre support doit conduire l’électricité à tous les sites catalytiques, qui vont éventuellement briser la molécule d’eau.»
Pour concevoir son «tronc» électrochimique, la classe a commencé avec l’idée de prendre du sucre et de le traiter pour le rendre conducteur. En faisant réagir le sucre avec de l’acide sulfurique (une expérience souvent utilisée pour impressionner les élèves lors de démonstrations dans les cégeps et les écoles secondaires), on obtient un genre de charbon poreux pouvant être utilisé comme support. «D’autres étudiantes et étudiants ont fait des tests avec de l’amidon ou de la cellulose, ajoute le professeur. Il y en a même une qui a testé un de ses cheveux.»
Le carbone obtenu à partir du sucre a finalement été retenu comme support. Sur ce «tronc» électrochimique, les équipes ont ensuite ajouté différents métaux (les «feuilles») destinés à servir de sites catalytiques: nickel, fer, molybdène, argent. «C’est un peu une compétition entre les équipes pour déterminer laquelle arrivera au plus bas surpotentiel, c’est-à-dire à la plus petite perte d’énergie», explique le chimiste.
Une fois le matériau mis au point, il faut le caractériser, c’est-à-dire décrire ses propriétés grâce à une série de techniques visant à déterminer sa composition, sa structure et son comportement. C’est l’activité menée ce jour-là dans les laboratoires du Département de chimie.
Un accès à des équipements de haute technologie
Depuis la création au Département de chimie de NanoQAM, le centre de recherche dédié à la synthèse et à la caractérisation de nanomatériaux, un parc d’équipements impressionnant a été constitué. Utiliser ces instruments, qui valent chacun une petite fortune, est un privilège pour les membres des équipes de recherche. «Le nouveau cours nous permet de donner aux étudiantes et étudiants du bac un accès beaucoup plus grand à ces équipements de haute technologie», mentionne le professeur.
La technicienne Jacqueline Tieu est la colonne vertébrale du projet. C’est elle qui est en charge de fournir les matériaux et de réserver les équipements. La classe compte aussi sur l’aide de trois auxiliaires: Lucille Kuster et Samaneh Esfahani, étudiantes au doctorat, ainsi que leur collègue Maziar Jafari, un spécialiste du microscope à force atomique qui vient tout juste de défendre sa thèse.
Entre le four tubulaire, la torche à plasma, le microscope au laser, le microscope à force photo-induite, le diffractomètre de rayons X et autres équipements sophistiqués, sept ou huit tests sont nécessaires avant même de procéder au montage électrochimique, la technique expérimentale qui permettra de vérifier l’efficacité du matériau.
Ainsi, Maurielle Touko et Michael Belis testent un mélange de nickel et de molybdène. En troisième année de bac, Maurielle Touko se destine à un emploi dans l’industrie pharmaceutique. Son coéquipier, en deuxième année, travaille au Service de l’environnement de la Ville de Montréal. Il mise sur son bac pour améliorer ses perspectives de carrière.
Un vrai projet de recherche
En attendant, ils sont un peu fébriles quant aux résultats des tests sur leur matériau. «C’est stressant, dit l’étudiante, car on ne sait pas ce qui va se passer.» Tous deux adorent le cours, qui leur permet de mettre les mains à la pâte en travaillant sur un vrai projet de recherche.
Mathieu Frenette est presque aussi fébrile. Pour lui, la recherche sur l’hydrogène est incontestablement un domaine d’avenir. Avec ses collègues, il vient d’ailleurs d’obtenir un financement du Centre québécois des matériaux fonctionnels pour poursuivre le projet. «Même si nos étudiantes et nos étudiants finissent par travailler dans un autre secteur, souligne-t-il, nous contribuons à former des citoyennes et citoyens sensibilisés au fait que cela a du sens d’investir dans ce genre de recherche.»
Source : Actualités UQAM